Carnet de vacances: En attendant les sanctions – Téhéran, Juillet 2006

A peine arrivée à l'aéroport de Téhéran, je suis mise au diapason par la blague du jour:
" Tu sais que le Liban a battu Israël?
- ah je croyais que c'étaient les Italiens qui avaient gagné".

Je me rends compte que je suis loin de ce que je pensais être les préoccupations des Iraniens, à savoir, les temps difficiles de la guerre, les discussions sur le nucléaire, le Hezbollah et cet embargo dont l'ombre planerait depuis quelques mois sur l'économie du pays!
En fait je m'attendais en ce mois de juillet à voir mes compatriotes en grande discussion nationaliste, patriotique et anti-américaine.
Apparemment je suis à côté de la plaque!

Et voilà que je suis embarquée malgré moi -à cause de la chaleur épouvantable- aux bords de la Caspienne.
Cette Caspienne que je n'avais plus revue depuis la révolution, où comme des visionnaires, nous avions pris notre dernière photo en bikini, à côté de nos frères, maris, amis.

Je ne sais pas si c'est le fait d'avoir beaucoup voyagé ces années d'exil et visité des coins du monde qui fait que ce paysage magnifique de ma mémoire s'est transformé en une autoroute longeant des bâtiments laids, impersonnels, hétérogènes entrecoupés de grands magasins d'ameublement pour les riches iraniens en quête de seconde résidence..

Nous y voilà, justement dans un de ces " compounds " qui existait déjà à l'époque du shah et qui s'est agrandi depuis la révolution et qui a bien sûr changé de public aussi.

Mais çà reste assez sélect, les personnes que vous rencontrez dans les jolies allées fleuries et admirablement soignées paraissent plutôt modernes et indifférents au code vestimentaire islamique pas vraiment respecté dans ce petit coin de paradis.

La plage est réservée de 9h à 12h aux hommes, et de 14 à 17 h aux femmes, avec une maître nageuse obèse qui de peur de devoir nous venir en aide si on devait se noyer, n'arrête pas de siffler dès qu'on s'éloigne de quelques mètres.

L'entrée est surveillée par des gardiens, on sent une sécurité totale. Je crois c'est ce qui laisse les propriétaires des lieux ainsi que leurs invités à se donner à tous les interdits en cours, ailleurs dans le pays !

Parmi les interdits j'en ai expérimenté un, plutôt amusant: le chien

Mes hôtes avaient amené avec eux leur chien (importé du canada depuis un an), un grand dalmatien.
Il faut savoir que le fait d'avoir un chien en public est interdit, çàd que vous ne pouvez pas vous promener avec lui dans un parc, pas le prendre dans un transport public, il ne peut pas aboyer au risque de vous attirer les pires ennuis!

Dès qu'il y avait des gens qui passaient devant la villa, le chien aboyait et nous nous mettions tous autour de lui pour le faire taire! Parfois il nous échappait et aller gambader en dehors de la villa, nous courrions chacun dans un sens pour le rattraper en priant les dieux qu'il n'ait léché ni reniflé personne ! Car en cette terre d'Islam, cette pauvre bête est considérée comme " haram ", càd souillée, elle n'a aucun droit. (La SPA devrait y faire un tour)

Mais paradoxalement ce même chien sera soigné dans des cabinets de vétérinaire d'un chic hollywoodien, dernier business à la mode à Téhéran.

Le sujet principal des conversations est le feuilleton de Narguess- un téléfilm mélodramatique qui est projeté tous les soirs à 23h. J'avoue que je ne comprends pas son immense succès.

Mais on m'explique que c'est la première fois que l'histoire d'un feuilleton se déroule dans une famille plutôt bourgeoise, avec des personnages féminins avec des caractères forts, où elles ne sont pas uniquement mères, cuisinières, épouses soumises.

Et voilà que débarquent les enfants de mes hôtes du Canada, des USA, de l'Europe. Je sens que les conversations à table prennent d'autres tournures. On ne peut évidemment pas éviter le sujet Nasrallah, Liban, bombardements...

Les images et commentaires que regardent mes hôtes sont ceux des paraboles, çàd CNN, BBC, ou les TV de Los Angeles, donc les mêmes que leurs enfants là-bas. Mais il y a une brèche dans l'appréciation qui parait intéressante.

Les jeunes soutiennent inconditionnellement le Hezbollah, le Hamas, et sont défenseurs de la bombe nucléaire iranienne, bref ils revendiquent leur appartenance à l'Iran et au monde musulman.
Alors que les parents qui en ont assez d'une vie sous des lois islamiques rigides ont peur de voir les Libanais et Palestiniens tomber dans le piège dans lequel ils sont tombés il y a 27 ans.

En Iran nous avons l'habitude de ces brèches qui divisent les membres d'une même famille.
Lors des précédentes élections, je me rappelle des discussions incendiaires qui devenaient des batailles rangées entre d'un côté les mères et enfants (dont le souci était la liberté, les droits humains) et les pères (dont le souci était le libéralisme économique).

Je m'aperçois qu'après 27 ans, tout ce qui était reproché au régime du shah : l'extrême consumérisme, la corruption, le fossé social sont malheureusement d'actualité, mais je voudrais quand même terminer sur une note positive, pour moi féministe !

Sur les cinq premiers lauréats au concours national des universités, quatre sont des filles.
Ouf ! on aura quand même gagné sur un front, même s'il y a encore beaucoup à faire pour elles, à commencer par changer les lois discriminatoires. ( www.we-change.org )

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