Monsieur le Rédacteur en chef,
Je suis, comme vous et sans doute la grande majorité des gens de ce pays, sous le choc de l'invitation "forcée" du premier ministre Sharon, envoyée aux juifs de France et du monde.
En tant qu'Iranienne, retournant régulièrement au pays, j'ai beaucoup de difficultés à prouver que les Juifs d'Iran vivent paisiblement et ne font pas plus l'objet d'une quelconque injustice que tout le reste de la population. La république islamique n'est pas "mangeuse" de Juifs, et ils sont en Iran depuis si longtemps que personne ne pense à eux comme des étrangers.
Il y a quelques mois j'ai été à Téhéran en compagnie d'une amie belge et nous nous sommes rendues à la grande synagogue lors de la fête de Kippour. Nous avons été étonnées de voir autant de Juifs rassemblés, bruyants, apparemment heureux. Un seul soldat montait la garde devant la plus grande synagogue du pays, probablement pour des raisons protocolaires plutôt que sécuritaires.
Un des cinq Juifs emprisonnés, qui avaient défrayé les chroniques, (dont la libération a été très furtivement annoncée dans la presse spécialisée) était venu de Shiraz pour remercier sa communauté pour leurs prières pendant leur détention. Il a expliqué leurs conditions d'emprisonnement, le respect de leur culte, de leurs lectures, de leur alimentation, la façon humaine dont ils ont été traités (je n'ai entendu aucun autre iranien sorti des prisons et vantant le bon comportement de ses geôliers!).
Ensuite nous avons été invitées par une dame, avec qui nous avions sympathisée, à passer le shabbat dans sa maison. Tous les rites que suivent les religieux d'Anvers, de Londres, ou d'ailleurs étaient respectés. C'était une occasion exceptionnelle pour moi, à la fois de les entendre dire leur satisfaction de vivre en Iran et que mon amie voie de ses propres yeux et entende de ses propres oreilles ce que les médias omettent.
Hier, par hasard, je suis tombée sur cet article écrit par le président de l'association des Juifs de Téhéran dans le journal Shargh daté du 20.07.2004 dont je vous envoie la copie en persan.
Je l'ai traduit d'une façon plutôt littérale, pour ne laisser de côté aucune subtilité.
J'ai respecté exactement les termes lorsqu'il disait Juif d'Iran, ou Juif iranien, ou Iranien juif, à savoir qu'en persan nous avons deux appellations "yahoudi" et "kalimi" pour désigner Juif, ainsi que "djouhoud" qui a une connotation péjorative et qui ne paraît pas dans le texte.
Je n'ai quasiment pas changé la tournure des phrases, c'est pourquoi elles sont si longues, dans un souci de préserver l'authenticité du ton.
Je vous l'envoie en espérant que vous trouverez une place pour le publier, pour que de temps en temps on entende la voix des protagonistes de l'Histoire!
Je ne suis ni Juive, ni religieuse, ni politicienne, juste une citoyenne éprise d'équité et de justice, et ce pays qui m'a appris la démocratie, les droits de l'homme, et la liberté mérite d'avoir des informations non tendancieuses.
Journal Shargh 20.07.2004
Encouragement à l'émigration forcée
Écrit par Yashayaï (Président de l'Association des Juifs de Téhéran)
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" Récemment il y a eu des rapports dans les médias internationaux d'après lesquels le ministre autrichien de l'intérieur (Ernst Strasser) et le ministre israélien de l'agriculture - apparemment se présentant comme les défenseurs des principes essentiels des droits de l'homme - se seraient entendus pour faciliter le départ des 25.000 iraniens juifs, en fait à les forcer à quitter leur pays.
Il est intéressant de savoir aussi que le ministre autrichien aurait promis de mettre en oeuvre toutes ses possibilités dans cette voie.
Sans oublier une série de mensonges que le journal Haaretz aurait ajoutée à cette information, dont le fait que les Juifs iraniens ne peuvent quitter le pays qu'en possession du visa autrichien - et ce uniquement dans un but d'émigration.
C'est une fausse prétention vérifiable tous les jours à l'aéroport de Mehrabad (Téhéran).
En ce qui concerne le ministre autrichien de l'intérieur, une analyse permettrait d'éclaircir sa politique d'ingérence dans les problèmes intérieurs de l'Iran, et la violation des droits des citoyens Juifs. À nous de poser la question de savoir qui a dit à monsieur Ernst Strasser que les Juifs iraniens voulaient quitter le pays, pour qu'il se permette la promesse de les déplacer et dans le but s'associer le ministre israélien et de considérer les Juifs iraniens comme des êtres pieds et poings liés dans un gouffre.
C'est à se demander comment les responsables autrichiens qui ont, dans leur passé, éduqué un être comme Adolphe Hitler, dont les gouvernants sont de droite avec l'approbation du peuple autrichien, ont développé récemment dans les rues de Vienne des souhaits de mort aux Juifs, à la façon hitlérienne, et ont laissé manifester des néo-fascistes au crâne rasé, pensent sauver les 25.000 juifs iraniens ?
C'est ne pas tenir compte de leur rôle dans l'invasion publicitaire contre l'utilisation pacifique de l'énergie atomique dans le concert des dénonciations tapageuses des impérialismes et des sionistes. Le fait de déplacer les Juifs iraniens n'est qu'un prétexte pour être présent dans cette aventure. Ce que Sharon et ses alliés sont en train de faire en Amérique Latine.
Pour donner une réponse à ce complot conjoint d'émigration forcée des Juifs iraniens et de dissiper beaucoup d'ambiguïtés, il est intéressant de jeter un coup d'oeil à la situation des Juifs iraniens dans les années après la révolution et l'instauration de la république islamique.
1- Il est vrai que des Juifs d'Iran ont émigré dans les années après la révolution, mais ce nombre est inférieur à celui des autres minorités religieuses, et en comparaison avec les trois millions d'Iraniens à l'étranger, cette proportion n'est pas très différente, relativement aux autres Iraniens.
2- les Juifs iraniens vivent dans leur patrie en complète harmonie avec leurs autres compatriotes Iraniens: ils sont associés dans leur travail et commerce, étudient dans les universités et écoles à l'instar des autres, les médecins dans les hôpitaux et les employés dans les administrations travaillent ensemble, et même si dans certains cas ils subissent - par certains- une ségrégation et une inimitié, cela n'altère en rien leur affection historique et ancienne au peuple d'Iran et à la culture islamo-iranienne, et leur vie commune suit avec tous ses hauts et bas, le cours de l'Histoire d'Iran.
3- Les 25.000 Juifs d'Iran vivent actuellement dans les villes de Téhéran, Shiraz, Esfahan, Hamadan, Kermanshah, Yazd, Boroudjerd, Rafsanjan, Kerman, Sanandaj, Kamyaran, Oroumieh et Bandar Abbas. Cette petite population est dispersée dans 25 villes d'Iran et reconnue comme Juifs respectant leurs rites religieux.
C'est-à-dire des conditions comparables à peu de pays européens.
4- les juifs d'Iran ont actuellement 43 synagogues en fonction. À Téhéran, les élèves juifs étudient dans quatre écoles composées de 10 cycles.
Les cours de religion dispensés à côté des synagogues rassemblent 4.000 élèves.
Il y a des jardins d'enfants et des homes pour personnes âgées juives, ainsi qu'un hôpital de 102 lits qui généralement accepte les compatriotes non-Juifs.
Les conditions religieuses Kahsrout, et Mighveh existent pour les Juifs dans les villes d'Iran; un cimetière spécial avec les rites, ablutions, enterrements juifs et tout ce qui constitue une société traditionnelle juive existe dans notre pays. Nous sommes sûrs que ce n'est pas ainsi en Autriche et qu'une grande partie des Juifs, même en Israël, n'ont pas cette possibilité.
5- l'association des Juifs de Téhéran, l'organisation centrale des Juifs d'Iran, et les succursales de l'association dans les villes, s'occupent des affaires des Juifs.
Les associations de jeunes, d'étudiants, de femmes juives sont actives à Téhéran et à Shiraz et le taux de réussite au concours (examen national pour entrer dans les universités) parmi les jeunes juifs est remarquable, ainsi que leurs activités artistiques et sportives.
Les Juifs d'Iran, malgré leur petit nombre, ont un représentant au Parlement, qui jouit des mêmes droits que les autres représentants et son vote compte comme le vote des autres représentants.
6-Au point de vue politique, il est clair dans la pensée du régime de la République Islamique et le peuple que "le compte de la société juive est différent de celle des sionistes" *
C'est peut-être ce principe qui a précipité le ministre israélien de l'agriculture et le ministre autrichien de l'intérieur à les déplacer d'Iran.
Il est à noter qu'ils y ont facilement réussi dans les autres pays islamiques et même non islamiques et ont confondu les valeurs de l'unicité de la judéïté avec les démarches des sionistes.
Mais en Iran, la riche culture pleine d'affection iranienne et la résistance de la société juive ont fait avorter ce plan.
7- l'ensemble des conditions sommairement écrites démontre qu'aucune raison séparatiste n'existe pour déplacer les Juifs, à moins que les politiciens européens veuillent lancer la balle du racisme et de l'antisémitisme depuis plusieurs siècles dans leur terrain, dans le camp des musulmans et particulièrement du peuple d'Iran.
8- L'existence des mausolées des prophètes et des grands juifs existant dans les différentes parties de l'Iran - la tombe de Daniel à Suse, Esther et Mordachai à Hamadan, prophète Habgnouth à Tousserkan, Sara bet asher à Esfahan, Moshe Halvi à Kashan et d'autres anciennes synagogues sont respectées par les musulmans - ce qui n'existe nulle part ailleurs - et est une preuve de l'entente complète des Juifs avec leurs autres compatriotes.
Nous estimons que personne n'a le droit de nous dicter notre destin et d'ignorer notre droit à la citoyenneté.
Nous demandons avec insistance aux responsables de la République islamique, de faire entendre notre protestation au gouvernement autrichien et à son ministre.
Nous sommes Juifs, nous resterons Juifs et Iraniens et fiers d'être iraniens. Personne ne nous a octroyé notre identité iranienne sur papier, elle ne nous a pas été donnée avec le "green card" pour être reprise par une ordonnance rusée. "
Yashayaï (Président de l'Association des Juifs de Téhéran)
*Imam Khomeini (écrits 1358 : 1980)