Now-rouz de mon enfance – Mars 2002

C'est toujours avec une pointe de nostalgie que je vois arriver les premiers beaux jours de printemps.
La légèreté de l'air, le manteau d'hiver qu'on enlève, au sens propre et figuré, annoncent le printemps, le Now-rouz de mon enfance.

En fait, petite fille, pour moi Now-rooz commençait avec les remue-ménages du début du mois de mars. Les grands nettoyages. Tous les objets de la maison étaient déplacés, -pour faire partir les poussières de l'année-.
La personne de la maison qui avait " la main verte " faisait tremper une poignée de blé ou de lentilles, pour faire germer le SABZEH-symbole de la fortune-

Quand arrivait le dernier mercredi de l'année, ma grand-mère nous emmenait au marché, et nous achetait à chacune ( les filles uniquement ), un miroir -symbole de la pureté- et les poissons rouges dans un bocal, qu'on mettrait dans quelques jours sur le SOFREH EYD-(la nappe de Now-rouz). Depuis le matin on croisait en ville, des chameaux avec des chargements de buisson sec, les gens s'agglutinaient autour d'eux, et en achetait des bottes et des bottes.

A la tombée du jour, les préparatifs se mettaient en route, on disposait les buissons à distance les uns des autres. On les allumait et commençait à sauter par dessus les brasiers, tout en criant aux flammes: "donne-moi ta belle couleur rouge, et prends en échange ma jaune pâleur maladive".

On mangeait ce soir-là du Reshteh Polow (riz aux nouilles): pour que notre richesse devienne aussi longue que les nouilles, durant toute l'année à venir. Ensuite jusque tard dans la nuit, nous nous gavions du AGIL MOSHGUEL GOSHA-assortiment de noisettes, raisins secs, amandes, pistaches- qui nous gardaient éveillés pour écouter les histoires que les adultes nous contaient.

Dès le lendemain, on voyait des Haji Firouz, ces personnages habillés en rouge avec la face noircie au charbon, déambuler dans la ville en chantant, dansant et racontant des blagues, mettant la bonne humeur (symbole de la fin de l'hiver -dur/ mal- et l'arrivée du printemps -léger/bien).

Là on sentait le temps changer, en espace de quelques jours, les arbres bourgeonnaient, l'air se purifiait, on ne sentait que l'odeur des Yass (jasmin).

Ma mère nous emmenait dans un magasin pour enfant et nous achetait tout un assortiment de vêtements. Tout ce que nous portions devait être NEUF, le jour de l'an, des sous-vêtements jusqu'à la pince dans les cheveux.

Le Now-rouz tombait chaque année à une heure différente, parfois on devait se lever tôt, parfois c'était dans l'après-midi, bref c'est bien plus tard que j'ai compris le pourquoi. En fait c'est exactement au moment de l'équinoxe de printemps.

La veille, nous dressions le SOFRE EYD; Maman choisissait la plus belle nappe de la maison, et on déposait le HAFT SIN- sept comestibles dont le nom débute avec S :
Samanou: espèce de pâte à base de blé non cuit. - la fertilité
Senjed: olive de Bohême - l'amour
Sir: ail - pour faire fuir le mal
Sib: pomme - la santé
Somaq: épice - la couleur de l'aurore (le renouveau)
Serkeh: vinaigre - la patience
Sabzeh: l'herbe que nous avions fait germer - la fortune

Sur la table, à part le Haft sin, il y avait un miroir, des bougies, des oeufs que nous avions amoureusement peints à notre goût, un bocal d'eau où flottait une feuille d'oranger, des pièces d'or dans une soucoupe, le bocal avec des poissons rouges, la photo des absents, le coran et enfin et certainement le livre de Hafez, que papa ouvrait dès le SAL TAHVIL- passage à l'an neuf- pour savoir ce que l'année nouvelle nous promettait.

Une heure avant le SAL TAHVIL - le moment où l'année passée se terminait et où commençait l'année nouvelle - nous nous réunissions tous autour du SOFREH EYD, habillés de nos vêtements pimpants neufs. Papa faisait un discours, en général pour remercier le bon dieu de nous avoir fait passer une bonne année, pleine de santé, de bonheur et lui demandait de nous bénir tous.

Ensuite on allumait la radio, et écoutions religieusement le speaker qui décomptait les secondes et annonçait enfin la nouvelle année "premier Farvardine de l'an 13??"- notre calendrier est solaire, et la date de départ en est l'Hégire -

Nous nous embrassions tous, en nous souhaitant la bonne année, et les parents nous offraient à chacune, une pièce d'or.

La première personne qui rentrait dans la maison, à la nouvelle année, allait déterminer le bon augure de l'année.

Après avoir écouté papa nous lire un poème ou deux de Hafez, nous partions remettre en personne nos félicitations de nouvel an aux grands-parents. C'est par le grand père paternel, le patriarche de la famille, que nous commencions notre tournée de EYD DIDANI. Arrivaient alors tous les oncles, tantes, cousins, cousines, on se trouvait parfois à quarante chez Grand-père. Les adultes donnaient des billets tout neufs comme étrennes aux enfants; c'était à qui avait le plus de billets.

Nous goûtions à tous les gâteaux, et il y avait un choix indescriptible de saveurs, de couleurs et de formes, différentes. Les maîtresses de maison dignes de ce nom mettaient leur point d'honneur à les préparer personnellement.

Nous restions déjeuner chez Grand-père, avec le même menu que chaque année :

SABZI POLOW - riz avec des herbes fraiches
POISSON - un très grand luxe à l'époque.
COUCOU SABZI - espèce d'omelettes aux herbes fraîches
A la fin du repas, chacun partait de son côté pour aller visiter les autres "Grands" de la famille.

Le soir de Now-rouz, nous rentrions épuisés de nos visites à la chaîne, nos poches remplies de billets neufs que la fatigue ne nous laissait pas le temps de compter, et une overdose de gâteaux que nous avions le temps de digérer toute l'année, avant l'arrivée de Now-rouz prochain.

Partager

Les commentaires sont clos.

  • mail: info@artcantara.be